Raconte-rendu de Sévérac au Grand Mas

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Expérience sensorielle, orage et création d’un petit monde imaginaire… Un récit sensible de la quatrième semaine de traversée expérimentale
Par Georges Matichard

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Je venais de passer de l’état de goutte d’eau en passant par celui de limace, et à peine après avoir copulé baveusement avec une autre limace, j’avais été avalé par une vipère. Devenu serpent, allongé dans l’herbe , les gouttes d’eau de mon imaginaire commençaient à se faire plus présentes sur ma peau, me rappelant les mouches lourdes et insistantes et surtout le taon qui en profitait pour commencer à s’abreuver sur mon bras.
J’ôtais prestement le polaire posé sur mes yeux et me levais rapidement pour replier toutes mes affaires pour échapper à l’orage déjà déclaré. Autour de moi dans cet instant de petite panique, le reste du groupe faisait de même en riant de la situation bien qu’un peu sonné par l’arrêt du récit que Muriel venait d’interrompre brusquement. Elle aussi rangeait son instrument et ses affaires de conteuse en vitesse. Nous nous mîmes toustes à courir sous la pluie pour rejoindre la maison.

A peine réunie, toute l’équipe mouillée mais pas détrempée se retrouvait dans une immense cave où étaient entassées les affaires de Muriel et de Corinne, arrivées récemment dans cet ancien pavillon de chasse. Nous venions d’arrêter brutalement une petite expérience sensorielle de «désentropisation» dans un pré un peu plus haut, une histoire contée par Muriel, autrice de bande dessinée.

Un peu plus tôt, juste après le pique-nique et avant l’expérience sensitive mouillée, Corinne nous avait présenté l’intégrale des publications des Éditions du Larzac qu’elle dirige et où entre autres, règnent les trois tomes de la célèbre bd La brebis galeuse imaginée par Muriel Lacan.
Nous avions rencontré Muriel et Corinne l’année dernière alors qu’elles venaient juste d’acquérir Le Bez, une succession de bâtiments anciens à retaper, dans un charmant petit domaine à débroussailler, avec en son cœur un ancien pavillon de chasse de la noblesse Séveraquoise. Beaucoup de boulot devant elles et un beau projet à venir, d’accueil, de festif, de partage autour des valeurs écologiques qui leur sont chères et qu’elles défendent de longue date avec leur association L’herbe sous le pied :« Mettre en œuvre des actions concrètes, écologiques et culturelles, qui décolonisent l’imaginaire et permettent de créer de nouvelles représentations du monde » peut-on lire sur leur dépliant … Autant dire que la rencontre était inévitable, et que cela se passe sur le chemin, inespéré !
Nos retrouvailles cette année furent vraiment enthousiasmantes, nous aurons beaucoup à faire ensemble à l’avenir.

Dès le début d’après midi, dix minutes après que les marcheuses ne soient reparties à la première éclaircie, Pauline et moi étions en train de clore notre brève rencontre pleine de promesses avec Muriel et Corinne lorsque l’orage et ses grêlons se mirent à perforer le ciel. Espérant que les marcheuses aient pu trouver un abri, nous nous réfugions dans une yourte pour s’abriter d’abord des petits pois de glace puis des gros grains de raisins.


Le soir, nous sommes à Buzeins où Aymé Majorel, le maire a convié toute l’équipe au restau local, Lou Paouzadou, une institution tenue de haute main par Josiane Ginisty, femme de caractère et de bon goût.

Nous y passons une soirée formidable en échangeant autour d’un repas parmi une quinzaine d’habitants, agriculteurs, éleveurs, un boulanger nouvellement installé qui cuit son pain au feu de bois et cultive ses céréales. Nous sommes touchés par la simplicité de ce moment dans ce joli village aveyronnais. Avec beaucoup de curiosité, les questions fusent, nous répondons et questionnons à notre tour. Nous traînons jusque tard, Josiane nous attend pour fermer le restaurant en regardant notre dossier et en rigolant devant les dessins de Tom.

Le lendemain matin de bonne heure je prends la route vers Conques pour y installer l’expo. Pauline et les marcheuses se lancent dans la traversée Aveyronnaise en regardant le ciel et les applis météo pour espérer passer entre les (grosses) gouttes.

A Conques, j’ai rendez vous avec quatre artisans d’art installés le long du GR 62 que nous emprunterons dans un segment de quelques kilomètres entre Saint Cyprien et Conques. Nous les connaissons depuis l’année dernière. Lors de notre repérage et de nos fréquents aller-retours, nous avions été frappés par leur situation géographique singulière et par leur savoir-faire d’exception, tous tellement différents les uns des autres.
Lorsque nous avions su que nous pouvions exposer dans la grande salle d’expo communale de Conques, nous leur avions proposé l’expérience d’une installation commune, dans l’idée de composer un paysage imaginaire, une cartographie en volume, témoin de leur proximité géographique et créative.


Le matin, Bastien Carré est arrivé en premier et a installé au plafond une délicate suspension lumineuse, un élégant mobile fait de fins fil de fers parsemés de micro diodes luminescentes. Il faut voir ses Chambres de Lumières à Saint Cyprien pour se faire une idée de l’ampleur de son œuvre. Une fois cette galaxie flottante au plafond installée, Magali Vermeesh est arrivée pour construire un ensemble support pour faire la base d’un paysage. Dans cette salle d’expo assez vide, nous avons tout de suite capté des plots en bois blancs de différentes tailles, des objets parfaits pour créer un petit monde sous le soleil de Bastien. Une fois ces éléments assemblés en un seul bloc, comme une île émergeant du sol, Magali a sorti ciseaux scotchs et matériels à papiers dont elle est virtuose, je lui ai donné nos chutes de cartes topograhiques (ce qu’elle adore travailler), et elle s’est mise à poser une cartographie mosaïque sur le sommet des blocs.
C’est alors que Christel est arrivée avec des petits gâteaux pour bien commencer et quelques petits éléments à poser par ci par là. J’ai longuement raconté Christel Lâché l’année dernière LIEN . Une tapissière d’exception qui nous avait ébloui par son travail en général mais surtout par celui en cours, la construction d’une tapisserie de haute lisse représentant des mousses et des lichens en volume.
Cette œuvre est toujours en cours d’ailleurs puisqu’elle nécessite un travail sur plusieurs années. Son travail étant intransportable, Christel nous a apporté des études de mousses, des petites demi-boules plus vraies que nature, assorties de lichen (vrai cette fois ) sur lesquelles elle a posé des petits animaux sculptés par Jean Pierre, son compagnon. Des petites bestioles imaginaires, mi-lézards mi-batraciens, sortis tout droit et tout tordus de branches de buis.

C’est une fois ce petit monde en forme, agrémenté par des pièces de papier plus conséquentes sculptées de Magali, qu’Anaïs et Aline des Ateliers du Geste ont débarqué et se sont mises à virevolter autour de l’îlot.
Elles venaient représenter leur groupe d’artistes chez qui les marcheuses arriveraient en fin de semaine au Grand Mas, pas loin de Saint Cyprien et chez qui se tiendrait la désormais traditionnelle Récitution de fin de semaine.
Semeuses de farine pour dire la boulangerie, de siure et de petites chutes de bois pour dire la menuiserie, de tissus pour dire les costumières, d’encre, de papiers, de poudres pour imager les peintres, illustratrices… tout ce petit monde gravite aux ADG.

Toute cette opération a créé un petit monde imaginaire dont la genèse n’aura duré qu’une demi journée. Il en restait une autre pour installer l’expo du projet, les cartes topographiques, les dessins de Tom, les plans et le porche d’entrée.


A la fin de la journée, exténué, je rampais comme la limace que j’étais redevenu, jusqu’à ma chambre dans le vieux village, pour me reposer et être prêt à passer une dizaine de jours à tenir l’expo qui n’avait encore jamais été aussi complète.

Les jours suivants ont vu passer pas mal de monde sous toutes les formes, des plus pressés aux plus badauds, certains pour s’abriter de la pluie, d’autres avec la ferme intention de la visiter.
Et toujours cette constance : quand les gens prennent le temps de ralentir pour comprendre le projet, ils y adhèrent totalement.
La limace attitude.