Marche du 12 au 18 Juin
Départ : Ferme de la Rauze (46) ➤ Arrivée : Gourdon (46)
Par Pauline Hoa
Assier s’efface derrière nous. C’est comme un visage familier que l’on quitte, un peu à contre cœur parce que ce fut justement un coup de cœur, un vivier de rencontres et de gens pétillants.
Première étape de cette nouvelle semaine à la Ferme de la Rauze, au « Bourg », où nous attendent Serge et Basile, père paysan retraité et son fils trentenaire, qui a repris la ferme familiale avec un collectif d’autres jeunes, férus d’inventer et d’expérimenter une nouvelle façon d’habiter et de travailler la terre.
Vers une autre structuration agricole
C’est une aventure humaine et collective qui remet au centre des questionnements et des actions concrètes l’idée de sortir du modèle classique de propriété et de subordination et les possibilités de démocratie, de solidarité. L’envie d’inventer un modèle pérenne de structuration agricole dans laquelle chacun a sa place et retrouve la valeur de son engagement.
La Ferme de la Rauze a motivé l’initiative d’une « foncière élémentaire agricole », créé à l’aide de multiples dons, et qui permet de soustraire la terre ainsi achetée à la spéculation (et de s’assurer, par des outils juridiques, que celle-ci restera bien cultivée par des paysans, avec une charte bien précise). L’idée que l’on peut créer, avec des outils légaux (et profondément réfléchis), un espace de travail où les paysans ne sont plus obligés de posséder du patrimoine ou une épargne notoire pour accéder à la terre, et de vivre sereinement de celle-ci. L’idée que la génération suivante pourra bénéficier du travail, des outils et des espaces des précédents sans repayer à nouveau la valeur de ce qui a déjà été acheté.
Serge et Basile sont passionnés, étonnants, inventifs. Ils nous parlent aussi des humains qui composent la ferme, de la façon dont tous partagent de façon égale les revenus issus de leur travail. De la volonté de maintenir du temps libre pour tous grâce à un fonctionnement de remplacement et de polyvalence des uns et des autres. Le temps… Nous y voilà encore…
Temps ressource précieuse, qui occupe notre marche, nos pensées, nos manières de faire et de rencontrer. Le temps long qui s’étire sous nos pas, le temps remodelé, ré-inventé, arraché à l’immobilisme, dans ce genre d’initiatives. Voilà qui donne de l’espoir sur ce qui vient et sur ce qui pourrait être.
Nous sommes des liens
Pierre Jérôme nous rejoint le lendemain, il connaît les voies pédestres du Lot comme sa poche pour en vérifier méticuleusement toutes les balises, chaque jour, en vélo ou à pied.
En ce mardi, journée de bruine, irisée, parfaite tant elle est tendue entre deux saisonnalités, grise et douce à la fois. Nous nous arrêtons à la Talvère, sur la commune de Bio. Là, Charlotte et Maï, nous racontent les valeurs et l’histoire de cet endroit atypique. Ici encore, on se questionne sur les rapports à la propriété ; on parle d’usagers de lieux plutôt que de propriétaires. La Talvère va bientôt rejoindre la Foncière Antidote, qui est, une fois de plus, un fonds de dotation. Un dispositif qui permet l’acquisition d’espaces et agit à la fois comme un outil de collecte financière (dons) et de gestion immobilière. Une façon, là encore, de questionner le monde et d’inventer de nouvelles formes de vivre-ensemble.
La Maison de la Talvère se veut un lieu ouvert, comme un labo de l’être et de faire en commun. La « déclaration d’inter-dépendances » placardée dans le couloir propose poétiquement quelques résonances : « Nous n’avons pas de but, nous nous délectons du chemin, convaincues que chaque pas contient l’angle mort nécessaire à motiver le pas suivant » // « Nous sommes des feuilles, des plumes, des pierres, de l’eau, des poils, d’air, de terre, de peau, de carapaces… Certains sont là depuis bien plus de 100 ans, d’autres ne font que passer. Nous sommes des liens. »
La table en bois, située devant la maison, propose aux marcheurs de s’y poser, d’échanger. Patricia tisse avec des lianes trouvées sur le chemin des objets creux qui collecteront peut-être les prochains trésors ramassés ? Concentrée, mutine, elle fait apparaître sous ses doigts agiles une maracas et un panier…
Plusieurs autres prototypes sont en cours de création. Elle accroche à son sac à dos les ressources végétales qui lui serviront aux élaborations prochaines…
Soirée au coin du feu sans feu, encore une table en bois, cœur de vie de cette maison dont nous devenons, le temps d’une nuit, les usagers, les rêveurs, ronfleurs, habitants éphémères…
Je quitte les marcheurs le mercredi matin ; ils continueront jusqu’à Gramat, poursuivront jusqu’au Moulin du Saut et au Col de Magès. Épopée joyeuse et légère.
Un trajet au doigt et à l’œil
Pendant que cette traversée se vit sur le terrain, avec Georges, nous proposons aux visiteurs de la Médiathèque de Gourdon de suivre du doigt ce même trajet, sur la cartographie de l’exposition dédiée au projet.
Suivre du doigt un trajet sur une carte… L’œil va plus vite que le doigt, il le précède, se fait omniscient, gourmand, intrépide, il galope, tandis que le doigt peine à le suivre, s’efface finalement, perd la ligne que l’œil dessine. L’œil s’entiche des dénivelés, fait fi des distances, virevolte d’un point à un autre, laissant derrière lui le doigt impatient de le rejoindre mais trop emprunté face à ce collègue si volatile…
Le doigt finit par croiser un post-it, de ceux, colorés et codifiés, que l’on a collés sur la carte et qui indiquent des lieux où les marcheurs sont certainement en ce moment, où nous aurions aimé nous rendre, que nous visiterons un jour. Fier et satisfait, le doigt tapote cette trouvaille éclatante. C’est là. C’est là qu’ils sont, vous voyez. Ils doivent être en train d’arpenter ce gouffre, que préside la Gardienne du Lichen. Ou cette forêt où une pierre semble sortir d’un arbre qui semble lui-même absorbé par une autre pierre. Ou ce trou dans la roche, celui où Bertrand se love, avec son bâton de marcheur.
L’imaginaire des visiteurs devant la carte et ses post-it est sans doute tout autant mis en ébranlement que celui des marcheurs devant le chemin, portés par leurs pieds.
L’arrivée du vendredi a déjà un goût de nostalgie ; la marche est déjà terminée, alors que le corps aurait pu se déployer et continuer encore sur des kilomètres, sur des années-lumière peut être.
Ceux qui marchent et ceux qui habitent
C’est le Théâtre d’Aymare qui nous accueille pour ce Temps Fort de fin de tronçon. Un lieu singulier qui a été, pendant de nombreuses années jusque dans les années soixante, le refuge actif d’une communauté d’exilés espagnols fuyant le franquisme. Aujourd’hui, c’est un Théâtre en pleine nature, sous un hangar agricole, retapé par Laurent et Sylvie.
C’est étonnant combien cette semaine regorge de mélanges. Certains marcheurs des premières semaines sont, à leur tour, accueillants. Ils se retrouvent, avec l’expérience de leur marche derrière eux, à accueillir de nouveaux venus sur le même processus, mais chez eux cette fois. Voilà qui illustre bien le maillage entre les gens qui marchent et les gens qui habitent, la frontière ténue entre les deux, qui pourra se développer encore pour les années à venir sur ce projet.
La Récitution du vendredi soir se passe de mots… Là, Delphine, Patricia et Bertrand décident de montrer. De peindre la carte de leur parcours sur un support vivant : le corps de Bertrand. Voilà les ocres qui se déploient sur les bras, le torse et les épaules, voilà la ligne qui apparaît sensiblement dans des tons terre, précisant les villages, les lieux parcourus, les couleurs, les odeurs.
Georges, quant à lui, joue sa Cirqu’onférence avec Benjamin Bondonneau, clarinettiste, improvisateur. Ses souffles et ses respirations enrichissent une fois encore le sens des mots.
Une semaine déjà…
Nous terminerons le lendemain matin dans les profondeurs humides et fraîches de la Grotte de Cougnac, que Francis Jach a l’amabilité de nous ouvrir et de nous faire découvrir un samedi matin. Un moment plongé sur les pas des paléolithiques, le souffle des peintres dans notre dos, nous parcourons les boyaux ornés avec délectation…. La précision des traits, là encore, est incroyable. La cohabitation de peintures aux datations si éloignées, alors que nos yeux trompeurs ne voient qu’une seule exposition, dans un temps unique… C’est bluffant. Vertigineux.
Comment autant de temps a-t-il pu s’écouler entre le bouquetin, l’homme criblé de flèches et cette paire de doigts ? 10 000 ans ! Voilà qui nous redonne une fois encore le sentiment d’être touts petits. La fistuleuse, aiguille minérale qui tombe délicatement du plafond, guide sur ses parois la goutte d’eau qui la parcourt et la prolonge en son extrémité. C’est un macaroni de pierre que voilà, miam, un itinéraire de 60 ans entre la surface et la goutte…
Les mots en jeu
Fin de semaine. L’équipe de la Bibliothèque Intercommunale de Gourdon (BIG) nous accueille. Nous avons imaginé, en ce dimanche matin, un lâcher de poésie, où le public, sélectionnant de petits papiers dans un panier garni, choisit librement un poème qu’il aurait envie de proclamer au paysage. L’esplanade est ouverte aux vents. Les voix font s’envoler vers les champs, les collines et les montagnes. D’imperceptibles brins intimes, des moments où se partagent l’écoute et la diction. Tour à tour, chacun prend place devant le paysage et envoie, au-delà de la ville, des bulles de mots, comme de légers ballons dans le ciel vif. Enfin, en redescendant de l’esplanade, nous rejoignons Bertrand et Quentin pour une partie d’Ouscrapo, dans le jardin de la BIG.
L’Ouscrapo est un jeu de scrabble imaginaire, un grand poème ludique et participatif, patiné dans une scénographie de métal et de bois qui nous fait nous sentir chez nous. Les spectateurs sont invités à être acteurs, imagineurs, en créant de nouveaux mots, des succulences textuelles, des images recomposées, des termes qui valsent, qui râpent, qui roucoulent, qui nagent à contre-courant. Des constellations d’idées. Ça pétille, ça croustille.
Ça fait du bien de se sentir créer ensemble un nouveau vocable. Ceux qui y étaient, aujourd’hui, le partageront désormais au creux de leurs êtres, sur le bout de leurs langues, comme des petits trésors vivants…
Je me sens ce soir comme une méduse : dans un mouvent en suspension. Prendre son élan pour saluer ce qui a été, et embrasser ce qui viendra.
Pauline
Les trois marcheurs / chercheurs
Pour cette avant-dernière semaine de traversée, nos trois nouveaux marcheurs-chercheurs plongent au cœur du Quercy en direction d’Issendolus, de Rocamadour, d’Aymare et des grottes de Cougnac…
Arrivée
16 juin au Théâtre d’Aymare à 18h30
– conférence-spectacle de GeoMatiche sur “l’origine de l’imagination” acompagné de Benjamin Bondonneau, clarinettiste, Cie du Chant du Moineau
– présentation du projet Marcher depuis la Nuit des Temps, de ses cartographies et des dessins de Tom Joseph.
– temps d’échanges convivial avec les chercheuses-marcheuses et le public
Suivi de :
19h30 lecture théâtrale / contrebasse du Chant de la piste ouverte de Walt Whitman par la Cie de l’Emetteur
20h30 apéro dinatoire
21h30 spectacle Angèle en goguette Angèle en Goguette
Temps fort
18 juin, 11h30 : lâcher de poésie à Gourdon (esplanade du château)
En partenariat avec la communauté de communes Quercy-Bouriane dans le cadre du festival « Les balades de Léo »
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Illustrations : Tom Joseph
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