Marche du 19 au 23 Juin
Départ : Gourdon (46) ➤ Arrivée : Les Eyzies-de-Tayac (24)
par Pauline Hoa
Nous passons en territoire inconnu. La Dordogne constitue le tronçon que nous connaissons le moins pour ne pas avoir pu en faire un lieu de repérage l’année dernière. Nos marcheurs sont donc d’autant plus dans de l’expérimental puisqu’ils découvrent, avec nous, une grande partie de la réalité de ce tracé.
Départ de Pechpialat, à proximité de Gourdon. François, guide accompagnateur, nous y rejoint. Tom, Sophie, Mimosa et Thaïs disparaissent dans les chemins. Je les retrouverai à Carlux le soir même.
Voilà plusieurs mois que Stéphanie, qui s’occupe de la culture à la Communauté de Communes du Pays de Fénelon, a entendu parler de notre projet. Un tissage de lien à travers Benjamin Bondonneau, notre clarinettiste de la semaine passée. Nous avons organisé avec Stéphanie la tenue d’une Cirqu’onférence, en bord de rivière, à la Halte Nautique de Carsac.
La météo en ayant décidé autrement, et menaçant d’un bel orage synonyme d’alerte couleur carotte fluo, nous avons docilement migré vers un autre espace plus abrité, mais plus incongru également : l’arrière terrasse du Café de la Gare Doisneau, sur la commune de Carlux.
Là, une poignée de spectateurs, bravant la menace du vent, s’est jointe à nous. Jauge intimiste, mais concentrée, active et enthousiaste. Assez naturellement d’ailleurs, la Cirqu’onférence s’est prolongée par un échange avec le public.
Nous avons là, notamment, un fin connaisseur de la géologie, qui a travaillé dans les Grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya au Pays Basque, et qui nous évoque sa crainte de l’anthropocentrisme dans les récits liés à la préhistoire. Le fait qu’on y oublie trop souvent les non humains. Il dit son inquiétude face à certains récits dogmatiques qui finissent par estomper, voir gommer, certains faits historiques moins séduisants à entendre. Ce qui est fort, là aussi et qui fait sens une fois encore, dans l’alchimie de cet auditoire, c’est que Sophie est là. Notre marcheuse philosophe a en effet écrit de nombreux ouvrages sur la condition terrestre -comment nous sommes justement passés d’une condition humaine, moderne, à une condition dite « terrestre », tentant de nous concevoir non plus seulement en tant qu’humains mais avec l’ensemble des non-humains peuplant la Terre, en inter-relations.
Le lendemain, les marcheurs avancent dans des sentiers plus boisés, jusqu’à St André d’Allas.
Je fais un tour à Sarlat pour approvisionner notre humble caravane pédestre car qui dit marche dit bon appétit. J’ai soudain un peu la nausée ici où tout est fait pour qu’on regarde, qu’on achète, qu’on se piétine. Le tourisme de masse fait des ravages à l’humanité, à ce que nous ressentons vis-à-vis de l’autre. Il biaise les rencontres et l’hospitalité.
J’ai envie de soulever le tapis, le décor, de voir sous la surface des choses. Ma partie cette semaine, c’est la régie technique. Je suis donc les marcheurs de loin, en saut de puce, les rejoins le soir pour dîner, pour qu’ils me racontent, pour les voir dessiner, discuter, sentir les ressentis des uns et des autres.
Les marcheurs prennent donc le temps de reconvoquer leur journée, chaque soir, autour des cartes sensibles proposées par Thaïs, notre étudiante en géographie. Pendant qu’ils s’affairent autour de ces rendus, je m’évade…. J’observe mon cahier, mon stylo, les doigts qui le tiennent, remonte le regard sur mes mains et mes bras.
Ma peau se décolore par endroits depuis quelques années, imperceptiblement au début, puis de façon plus affirmée. C’est l’été qui me le dit : le soleil matifie mes mains et y laisse apparaître des taches blanches, non colorées, comme des îles aux contours escarpés. Je dessine sur mon bras les contours de ces archipels imaginaires, comme une collégienne appliquée, la langue tirée de concentration. J’imagine d’intrépides préhistoriques abordant ces côtes, ces terres inconnues. C’est l’apparition d’une nouvelle carte bicolore, celle d’une partie de mon corps qui veut me dire quelque chose que je ne sais pas encore. Peut-être le trésor, la réponse, la solution de l’équation, se trouve-t-ils justement quelque part sur ce paysage morcelé ?
On peut décider que la partie la plus foncée est celle qui correspond aux étendues aquatiques, et que la plus claire, c’est la terre. On peut aussi inverser ce point de vue, et c’est cela qui est plaisant : ne plus savoir sur quelle surface on marche, sur quelle surface on nage. Imaginer la densité, la consistance, la texture de ces deux territoires distincts. Imaginer les criques où l’on peut se cacher, s’extraire du monde, là, dans le creux du cubitus et à l’abri du radius (ces deux os fins et longilignes de l’avant-bras, sous le poignet, aux noms évocateurs). Les eaux troubles de ma carte imaginaire se mettent à danser, soudainement. A tanguer même. C’est l’orage puissant que nous avons vécu ce soir-là à St André d’Allas qui me le gronde. Me déchirent les oreilles en pleine nuit, ces coups de tonnerre sourds, gigantesques et souverains sur ces grandes étendues, paysage nocturne zébré par la lumière intermittente….
Du moins c’est ce que me racontent le lendemain Thaïs et Tom, qui sont restés figés dans l’obscurité, à observer cette houle céleste, sans chavirer, fumant quelques cigarettes, les visages tournés vers la nuit. J’étais quant à moi coincée dans un demi sommeil, ressentant néanmoins à l’intérieur de mon corps l’électricité qui tombait près de nous.
L’avant dernière étape de ce tronçon nous mène jusqu’à Sireuil, dans des bâtiments de colonies de vacances gérées par la Ligue de l’Enseignement de Dordogne. Dans ce petit coin de forêt, nous écoutons les sons des feuilles de peuplier soufflés par le vent. C’est drôle, je n’avais pas remarqué qu’ils s’exprimaient en clapotis : c’est un son aquatique, fluide, de mouvement liquide. Un cours d’eau.
Et puis arrivent les enfants. Ceux qui participent à des ateliers, des colonies de vacances et des sorties scolaires en lien avec la thématique de la préhistoire. Ce sont les passagers de ce lieu, ils en incarnent partout l’essence. Un mur leur est réservé pour peindre, un espace de fouille a été reconstitué pour qu’ils puissent s’y essayer. Leurs paroles, leurs cris, leurs joies nous ramènent à l’enfance, comme l’a évoqué très justement Tom lors de notre arrivée ici.
C’est étonnant et tellement riche de sens que de terminer cette traversée par un retour à l’enfance. Celui qui convoque tous les jours son imaginaire sans être encore trop empêtré dans un lot de certitudes et de savoirs qui l’empêchent de voir sous la surface des choses, justement.
A la cantine que nous partageons avec les enfants, les consignes sont précises : une éducatrice prend le temps de les énumérer en début de repas. Ne pas laisser de miettes à la fin, débarrasser la table après manger, ne pas former de piles trop hautes, ranger les fourchettes avec les fourchettes. Et si nous décidions de convoquer l’enfant qui est nous, que ferait-il alors ? Il peindrait avec les dents de la fourchette, construirait des châteaux d’assiettes jusqu’au ciel, sèmerait tout plein de miettes de lui, de son passage au monde, des traces partout, afficherait sa fougue et son énergie en laissant la nuit le cueillir… Parce que non ! Non de non ! On ne peut pas se coucher déjà, regarde dehors, il fait encore jour ! Aller, encore 5 minutes….
Le ciel s’effiloche, le jour s’accroche encore un peu à son trône en ce lendemain de solstice d’été, les nuages bruissent de poésie en s’ouvrant tels de grands becs tranchants.
Dernière journée le vendredi : les marcheurs décident de partir à l’aube pour profiter de la fraîcheur et espérer croiser quelques animaux furtifs.
Je les retrouve aux Eyzies, où le reste de l’équipe de Monik s’anime à organiser la soirée Temps Fort de Clôture.
(la suite et la fin, écrite à 4 mains avec Guilhaine, ici)
Pauline
Les trois marcheur·euses / chercheur·euses
Déjà la septième et dernière semaine de traversée !
Le dernier tronçon du parcours pédestre de l’édition 2023 nous fait encore changer de décor. On entre véritablement dans le cœur de notre Histoire ! Les grottes vont se succéder jusqu’à la vallée de la Vézère où Tom, Mimosa et Sophie sont attendus pour le bouquet final…
Depuis le 1er mai, 21 marcheurs/chercheurs se sont succédés. Ils ont traversé 7 départements et 3 régions. Tout au long de ce territoire de plus de 380 km, une dizaine de rencontres publiques se sont tenues dans un cadre, chaque fois, exceptionnel.
La collecte des récits et des expériences partagées avec les habitants et le fruit des recherches des marcheurs fabriquent des données sensibles et inédites.
Elles alimenteront le tout premier centre itinérant sur l’histoire de notre imagination depuis la nuit des temps.
Arrivée : soirée de clôture aux Eyzies
Le 23 juin au Pôle d’Interprétation de la Préhistoire (PIP)
17h Rdv public au Pôle d’Interprétation de la Préhistoire, PIP, visite de l’exposition.
17h30 Départ du PIP avec Nathalie Baldot, pour une marche chorégraphiée jusqu’au Musée National de Préhistoire.
18h30 – 19h30 Circonférence accompagnée en musique par David Chiesa et Récitutions des marcheurs sur la Terrasse du Musée.
19h30 Apéro convival sur la terrasse.
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Illustrations : Tom Joseph
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