Semaine 7

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Marche du 17 au 21 juin

Départ : Domme (24) ➤ Arrivée : Les Eyzies (24)

Le récit de la semaine 7 et de la sonate finale

par Pauline Hoa

Cette semaine commence simplement : ce sont quelques habitants du Mas Andral qui nous accueillent dans leur éco-hameau pour un apéro partagé, agrémenté de chapatis cuits au feu de bois. Là, nous retrouvons Patricia Monniaux, marcheuse de l’année passée, qui a accompagné une journée de marche sur le tronçon 6 de cette année, et nous propose maintenant ce moment. On y retrouve également Chantal Visscher, du collectif des Bigarrés, artiste plasticienne qui habite ici aussi.

Les marcheurs : Tsilia est arrivée en premier, l’équipe de Monik joue à préserver le secret un maximum de temps ; celui qui concerne l’identité de ses collègues marcheurs. Apparaissent successivement Chloé et Rémi, qui partageront cette semaine de marche en Dordogne.

Le lendemain matin, nous retrouvons Francis Collie, qui est aussi un chercheur, au sens premier comme second du terme. C’est un chercheur de traces. Un chercheur d’empreintes et d’indices dans le vivant de la forêt et des plaines, un pisteur. Il accompagne le groupe.

Le soir, les marcheurs dorment chez Sylvie et Laurent du Théâtre d’Aymare, anciens marcheurs et complices du projet. C’est bon de sentir ce tissage qui s’opèrent, entre les arpenteurs d’une fois, qui deviennent à leur tour ambassadeurs, hôtes… Les mots nous manquent pour exprimer cette diversité de profils et d’implications qui émerge.

Après la première journée de marche, nous nous retrouvons chez Audrey Saboureau et Benjamin Bondonneau. Elle travaille sur des moments de partage de philosophie avec les enfants, lui est artiste plasticien et clarinettiste. L’atelier de ce dernier est organique, peuplé d’ours de ferraille et de dessins majestueux à l’encre de Chine. Il travaille aussi sur la préhistoire, ses dessins sont chimériques, puissants, ancestraux.

La végétation de Dordogne a apprécié les pluies des dernières semaines, tout est frais, vert, vivant. La plante (de pieds) de Francis, elle, est craquelée comme un massif de montagnes arides : il marche pieds nus, en hiver comme en été. Les autres, parfois, l’imitent.

Cette semaine est placée sous le signe du jeu ; chacun sort de sa besace un élément qu’il a inventé et qu’il a envie de partager avec les autres. Francis a créé un jeu de cartes à partir de son expérience de pisteur, qui sensibilise les joueurs aux différents animaux qui nous entourent, aux excréments qu’ils laissent derrière eux, aux pliages d’herbes dans une prairie qui nous donnent des indices sur celui qui est passé à proximité. L’art de la suggestion. Chloé nous présente son jeu inspiré de sa marche de l’année dernière (cf semaine #5) et que j’ai évoqué dans un précédent texte. Mais ce coup-ci, c’est elle qui l’expose à ses acolytes et qui leur propose d’y jouer. Tsilia, elle, laisse subtilement des petits totems de mousse, de boue et de bâtons derrière elle, et Rémi joue à communiquer avec les oiseaux et à imprégner dans chaque pas de la marche une cadence rythmée et musicale.

Au fond de l’impasse qui porte le nom de son savoir-faire, nous avons rendez-vous avec Guy Phelip, feuillardier. Voilà une rencontre pleine d’émotions ; Guy nous présente son travail, son atelier, sa mère aussi qui atteint la centaine de tours de soleil très bientôt. Il nous évoque le passé de ce lieu, son grand-père résistant, qui se retournerait dans sa tombe s’il nous voyait aujourd’hui, société si amnésique, aux portes d’une catastrophe qui nous révolte, nous indigne, nous attriste, questionne le sens de tout ce qui nous a précédé et pour lequel certains de nos ancêtres ont âprement lutté.

Guy nous montre comment il débite des branches de châtaignier précautionneusement mais avec poigne, pour en faire des tiges malléables, douces et parfumées (« si, si, léchez sous l’écorce », nous dit-il en nous incitant à le faire…c’est vrai ça a un petit goût sucré). Avec ces longues baguettes souples, qu’il cercle dans une machine dont c’est l’unique fonction, il fabrique des couronnes de bois destinées à habiller des tonneaux de vin. Selon lui, ses feuillards, qui étaient autrefois achetées par des petites gens (et servaient à préserver des chocs les tonneaux qui roulaient pendant les transports), sont maintenant quasi exclusivement destinées à de la décoration de barriques haut de gamme. Mais Guy est passionné, il pourrait parler de son métier, de ses subtilités, de ce que ça lui procure, pendant des heures. Du collier qu’il a fabriqué pour un mariage où il a été invité de façon inopinée et où, pris de temps, il fabriqua une chaîne en écorce de châtaignier dont les mariés ne se séparent plus aujourd’hui encore.

Il est joueur, Guy, et nous montre aussi comment fabriquer des flûtes éphémères dans l’écorce de bois fraîchement taillée. Des flûtes de la nuit des temps, sans doute.

Je n’évoquerai pas le bivouac dans les abris sous roche proches du Château de Commarque, que le groupe était impatient de vivre et que nous avions imaginé… La météo particulièrement humide en ayant décidé autrement.

Les derniers kilomètres avant les Eyzies, c’est un groupe d’enfants, de ceux déjà rencontrés à Saint-Amand-de-Coly, qui rejoignent les marcheurs. L’idée, c’est qu’ils puissent à leur tour guider ces derniers, leur raconter leurs paysages, leurs vies, leurs environnements, et surtout déployer leurs imaginaires avec liberté. C’est donc justement pour eux le moment où il est tout à fait possible (et fortement recommandé) de dessiner par exemple quelque chose de moche avec élégance s’ils le souhaitent, ou de raconter n’importe quoi pourvu que ce soit sacrément argumenté, étayé et mis en mots à destination des marcheurs. Les enfants sont de petits spécialistes de l’imagination, ils ont de quoi faire…. Ils présentent d’ailleurs, en fin de parcours, une exposition réalisée par leurs soins au Musée national de préhistoire à l’ensemble du groupe.

Temps Fort : la sonate finale

Ce vendredi-là est une journée particulièrement dense. Nous voilà déjà à la fin de la marche, et le Temps Fort a lieu ce soir, pour fêter la fin de la Traversée et pour célébrer la Musique et «descendre dans la glotte préhistorique par nos cordes vocales », comme dirait Georges Matichard.

Au Pôle d’Interprétation de la Préhistoire, Georges a imaginé un dispositif où un linéaire de cartes IGN recouvre la bibliothèque fournie du lieu. Ça forme comme des montagnes, des vallons, des creux aussi. Il y lit les paysages, les gens rencontrés sur l’ensemble du parcours, depuis le début. Il y raconte ce que les territoires nous ont révélé.

Les marcheurs, à leurs tours, prennent la parole et le fusain, dessinent, racontent leur traversée, ponctuée de sons, de respirations et de claquements de mains.

La deuxième partie de la soirée se déroule au Musée National de Préhistoire, mais juste avant ça, les Humanophones, (compagnie de percussions corporelles menée par Rémi), emmènent le public pour une courte balade, en musique acoustique, jusque devant le parvis.

C’est une procession joyeuse, attentive, captivée, qui s’élance alors vers le haut du village. Des sons sortis des profondeurs de ces quatre humains virevoltants, des voix puissantes, rauques et douces à la fois, des rythmes joués sur les corps, sur les murs, sur le bitume, emmènent le public, le prend par la main, par les tripes. Là-haut, dans la seconde galerie du Musée, l’exploration-concert est ardente, entraînante, le public fredonne d’abord, puis, encouragé par les chanteurs, se met à vibrer en cœur, à hausser la voix, à claquer des mains, à trépider des langues et à frémir des oreilles.

Encore une belle expérience sensible d’humanité et de partage.

Merci à vous !

Les 3 marcheurs et marcheuses

Chloé Cruchaudet

Dessinatrice et scénariste de bande dessinée

Enseignante à Émile Cohl où elle a été élève, Chloé Cruchaudet s’est réinstallée à Lyon depuis peu. Elle nourrit ses idées de dessins et de scénarios par de vastes recherches préparatoires. Marcheuse en 2023 et joueuse, elle repart sur les chemins pour tester le jeu loulipien qu’elle a imaginé lors de la Traversée l’année précédente.

Rémi Leclerc

Musicien

Rémi est le fondateur, directeur artistique et compositeur des Humanophones. Pianiste passionné de jazz, classique et d’improvisation, il collabore également dans nombre de groupes. Il a participé et porte la création de l’aventure « Aka – free voices of forest » avec des pygmées du Congo-Brazaville et Leila Martial.

Tsilia Poussin

Agente de développement de projet

En 2021, Tsilia a rejoint l’Association des Bâtisseurs en Pierres Sèches basée au hameau de l’Espinas à Ventalon-en-Cévennes. Elle est animatrice du réseau Laubapro, programme de développement de la filière lauzes et pierres sèches, et communique sur les actions de l’association.

Accompagnés pour la semaine de Francis Collie, pisteur animalier, fondateur de l’association « Je suis la piste« .

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    Illustrations : Tom Joseph

    Avec le soutien de